L’Envol des Mots

Philippe Béhin-Stroud, écrivain public.

« J’ai le mal des hauteurs et n’en veux point guérir »

L’ambulance aérienne de Marie Marvingt

Au panthéon des femmes illustres figure une infirmière, dont la mémoire mériterait d’être bien davantage rappelée, tant elle fut exceptionnelle. J’avoue humblement avoir ignoré son nom même jusqu’à tomber fortuitement sur un placard apposé accroché à une grille dans le joli bourg de Bagnoles-de-l’Orne en Normandie. Et pourtant…

« La femme la plus extraordinaire depuis Jeanne d’Arc » :

C’est en ces termes qu’un journaliste du Chicago Tribune rendait un hommage posthume en 1963 à la Française Marie Marvingt dont la célébrité s’était malheureusement déjà estompée. À son décès, Le Monde relate sobrement sa disparition dans un article qui lui rend hommage sans toutefois insister sur le parcours inégalé de cette « wonderwoman » de la Belle Époque.

Car la vie de cette sportive tient vraiment de l’incroyable. Peu de personnes ont excellé dans autant de domaines que Marie Félicie Élisabeth Marvingt.

Rien ne prédisposait la petite fille qui naît le 20 février 1875 à Aurillac à un destin hors norme. C’est son père cependant qui l’initiera aux sports et lui donnera le goût du défi. Un trait de caractère qu’elle conservera tout au long de sa vie et la conduira à s’engager dans la voie de nombreux sports. Dès sa prime enfance, elle pratique la natation, l’escalade, puis gymnastique, l’équitation, le cyclisme et le canoë, le tir et l’escrime (sans être exhaustif). En 1899, elle obtient le certificat de capacité pour conduire des automobiles (ancêtre du permis de conduire) et participe à des compétitions. Au début du XXème siècle, elle est aussi l’une des pionnières de l’alpinisme féminin et s’illustre en réalisant l’ascension de sommets parmi les plus ardus. Les autres sports de montagne sont encore un autre domaine où elle fait une incursion remarquée. Elle remporte ainsi de nombreuses médailles et compétitions sportives avant le premier conflit mondial.

Dès 1910 elle est décorée de la grande médaille d’or de la toute nouvelle académie des sports (créée en 1905).

Marie Marvingt en 1913 dans le massif du Mont-Blanc.

Ne dédaignant pas les études, elle s’inscrit à plusieurs universités et y obtient une licence ès lettres. Elle étudie aussi le droit et commence des études de médecine. Elle obtient encore son diplôme d’infirmière, profession qu’elle exercera (entre autres) toute sa vie y compris dans un cadre militaire pendant la Grande Guerre.  

Mais c’est dans le domaine de l’aviation qu’elle s’illustrera peut-être de la manière la plus éclatante. Dès 1901, elle s’initie à l’aéronautique à bord d’un ballon libre et obtient son brevet, sur aérostat et en 1910 elle devient la troisième femme au monde brevetée pilote sur avion (brevet de pilote no 281 de l’Aéro-club de France). À fin de la Belle Époque, alliant ses nombreux domaines d’excellence, elle conçoit entre 1910 et 1912 (avec l’aide d’un ingénieur) un prototype d’avion ambulance. Bien qu’approuvé par le ministère de la Guerre, il ne pourra malheureusement aboutir. Cette invention en fait pourtant l’inventrice de l’aviation sanitaire qu’elle travaillera à promouvoir après le conflit. Elle prend part à celui-ci de manière aussi active que possible, n’hésitant pas à tenter de contourner l’interdiction faite aux femmes de s’engager en première ligne où elle se serait maintenue quelques jours. En 1918 elle aurait décorée de la Croix de Guerre avec palmes.

Pendant l’entre-deux guerres, infirmière, journaliste, conférencière, écrivain, elle continue à promouvoir l’aéronautique sanitaire, mais en dépit de la reconnaissance qui lui est témoignée, sa célébrité commence à s’amenuiser lentement, faute peut-être de nouveaux exploits sensationnels dont la presse est friande. Elle fonde la société des amis de l’aviation sanitaire en 1929. Elle est faite chevalier de la Légion d’Honneur en 1935. Elle participe encore malgré son âge au second conflit mondial, en qualité d’infirmière.

Après la Seconde Guerre mondiale, certes la République lui témoigne encore sa considération en la nommant officier de la Légion d’Honneur, mais la « fiancé du danger » connaît des temps plus difficiles et même la pauvreté (elle n’eut pas droit à une pension de retraite). Son âge désormais avancé n’arrêtera pas cette femme incroyable qui passera encore au crépuscule de sa vie le brevet d’hélicoptère, avant de prendre son dernier envol à l’âge estimable de 88 ans.

Décorée à de nombreuses reprises, cette femme parfois controversée (cf. notes 4 et 5) demeure une femme pionnière dans bien des domaines.

À lire pour plus de détails :

1 – Marie Marvingt — Wikipédia

2 – Marie Marvingt, Marie casse-cou ou la fiancée du danger

3 – L’incroyable vie de Marie Marvingt, « fiancée du danger » et infirmière Croix-Rouge | L’humanitaire dans tous ses états

4 – Aviatrice, alpiniste, soldate, résistante… entre vérité et affabulation, Marie Marvingt, l’héroïne oubliée

5 – Marie Marvingt (1875- 1963) : retour aux sources, Éditions du CRULH, article de Matthieu Casali numéro 2 de l’année 2023 : https://crulh.univ-lorraine.fr/editions-du-crulh/annales-de-lest

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